Un projet de mobilisation des connaissances pour les communautés noires

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Un projet de mobilisation des connaissances explorera l’intégration des chercheurs et chercheuses travaillant dans le champ des études noires et celle des savoirs de ces communautés au sein de l’UdeM.

«Il n’existe aucun programme d’études noires en français, que ce soit au Québec ou en France», constate d’emblée Catherine Larochelle, professeure au Département d’histoire de l’Université de Montréal. C’est pour se pencher sur l’élaboration d’un tel programme à l’UdeM, mais aussi sur la façon dont sont intégrés les savoirs et perspectives des communautés noires, que le projet de mobilisation des connaissances «Intégrer les savoirs et perspectives noires à l’université: une mobilisation des connaissances hors, vers et à partir de l’université pour une plus grande inclusivité» a été mis sur pied.  

Financé par le Centre de recherche interdisciplinaire sur la justice intersectionnelle, la décolonisation et l’équité (CRI-JaDE), le projet est dirigé par la professeure Larochelle, Pascale Caidor, professeure au Département de communication de l’UdeM, et Diahara Traoré, chercheuse et professionnelle au CRI-JaDE. 

Le 27 mars a eu lieu un séminaire en présence des différents partenaires où des résultats préliminaires ont été présentés. Un atelier interactif a par ailleurs été tenu à cette occasion. En petits groupes puis en séance plénière, les personnes présentes ont partagé leur vision de ce que serait un programme d’études noires à l’Université. «Nous réunirons les résultats soumis pendant le séminaire pour les inclure dans notre projet de recherche», dit Pascale Caidor. 

Des réflexions à mettre en marche

Pascale Caidor et Diahara Traoré

Pascale Caidor et Diahara Traoré

Crédit : Pascale Caidor (Courtoisie) et Diahara Traoré (Amélie Philibert, Université de Montréal)

Depuis quelques années, «il y a un mouvement de prise de conscience du racisme sur les campus au Canada par les dirigeants, même si cela était mis de l’avant par les personnes concernées depuis longtemps», observe Catherine Larochelle. Le Canada a vu son premier programme de Black studies être inauguré en 2016 à l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse. C’est pour étudier la mise en place d’un tel programme à l’Université de Montréal que la professeure Caidor, chercheuse principale, a répondu à un appel de projets du CRI-JaDE 

Ce contexte a donné lieu au projet de mobilisation des connaissances, qui s’est amorcé à l’automne 2023. Celui-ci se décline en plusieurs volets. Une analyse de la littérature sur le champ des études noires a d’abord été menée par le doctorant Jacques Renaud Stinfil. «Notre revue de la littérature montre qu’il y a tout ce qu’il faut pour enseigner», soutient d’ailleurs Catherine Larochelle. 

Des entretiens semi-dirigés avec des chercheurs, des professeurs et des diplômés de l’UdeM de même que des acteurs communautaires ont été réalisés par la doctorante Caroline Foray, coordonnatrice du projet et assistée de Jordan Faye et Karl-Ervin Jean-Pierre, étudiants de premier cycle, et une analyse comparative des stratégies institutionnelles mises sur pied dans les autres universités canadiennes sera finalement effectuée.  

«C’est une démarche exploratoire qui veut avoir plusieurs retombées, dont un programme d’études noires. Ça vise à distinguer les différentes couches de compréhension, les avantages potentiels et les perceptions des communautés», résume Diahara Traoré. 

Au-delà de l’effet de mode

Parmi les résultats surprenants dégagés par le projet de recherche, la redécouverte des archives du Centre de recherches des Caraïbes, actif à l’UdeM pendant deux décennies (1968-1989). «Le Centre avait une station en Martinique, où les chercheurs pouvaient se rendre, relate Catherine Larochelle. Moi qui suis depuis 13 ans à l’Université de Montréal, en tant qu’étudiante d’abord puis comme professeure, j’ignorais l’existence de ce centre.» Il a ainsi joué un rôle important auprès des communautés comme des autorités gouvernementales. 

Même s’il n’était pas qualifié d’«études noires», le champ de recherche n’était donc pas vierge à l’UdeM. «Ce n’est pas une question de mode. Ça a été quelque chose de légitime à l’Université pendant plusieurs années», souligne la chercheuse. L’Université de Montréal a de plus été le siège du secrétariat de l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française dans les années 1970. À travers cette association, l’Université a participé à des projets de recherche interuniversitaires en Haïti, aux Antilles, en Guyane et à la Réunion.  

Des besoins et des obstacles

Les entretiens déjà réalisés du projet de mobilisation des connaissances ont révélé certains besoins, dont celui de lutter contre la sous-représentation des communautés noires à l’université. «Il n’y a pas assez de professeures et professeurs noirs, pas plus qu’il n’y a assez d’étudiantes et étudiants noirs dans certaines disciplines clés, comme médecine ou histoire», affirme Pascale Caidor. Cette sous-représentation physique s’accompagne d’une sous-représentation symbolique, alors que les savoirs et les épistémologies noirs sont encore trop peu intégrés aux programmes de formation.  

Les chercheuses notent le besoin des communautés noires de se sentir représentées dans leur université et celui que leurs contributions à la société canadienne soient visibilisées. «Ça permettrait de combattre l’ignorance et le racisme», croit Pascale Caidor. Un programme d’études noires permettrait de mieux présenter le contexte canadien et de créer un lieu de réflexion, jusqu’ici inexistant dans la francophonie.  

Il reste toutefois des obstacles à ces initiatives, notamment la négation de l’existence de ce type de problèmes et des réalités des communautés. La perception des études noires comme militantes ou politisées est un autre frein à la mise en place d’un programme universitaire d’études noires.  

Les savoirs et perspectives des communautés noires sont par ailleurs souvent établis en dehors de l’université. «Historiquement, il y a une méfiance et des relations tendues entre les communautés noires et les institutions. Par conséquent, beaucoup de dépositaires et gardiens du savoir se trouvent à l’extérieur de l’université», note Diahara Traoré. Un rapprochement entre les deux s’avère nécessaire.  

Le projet de mobilisation des connaissances se poursuit. Les chercheuses souhaitent déposer un rapport aux instances de l’Université de Montréal et potentiellement un plan d’action. Un colloque réunissant les chercheurs et chercheuses du domaine sera également organisé à l’automne de même qu’une école d’été ouverte aux acteurs de la société civile. «L’idée, c’est de poursuivre la conversation», conclut Pascale Caidor.