Les bruits «colorés» peuvent-ils vraiment améliorer notre sommeil?

Il y a le populaire bruit blanc, qui combine toutes les fréquences audibles, mais aussi le brun, qui contient davantage de basses fréquences, ou le rose, qui se compose de basses fréquences plus fortes et de hautes fréquences plus faibles.

Il y a le populaire bruit blanc, qui combine toutes les fréquences audibles, mais aussi le brun, qui contient davantage de basses fréquences, ou le rose, qui se compose de basses fréquences plus fortes et de hautes fréquences plus faibles.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Dans l’incessante quête de nuits paisibles et reposantes, le recours au bruit blanc, brun ou rose se répand comme une piste prometteuse. Solution ou illusion?

Insomnie, apnée du sommeil, narcolepsie, hypersomnie, syndrome des jambes sans repos: les troubles du sommeil sont variés et toucheraient environ 25 % des individus. Ces troubles constituent de véritables enjeux de santé publique, si l’on considère que le quart de cette proportion n’a pas accès à des solutions efficaces et durables.

Cette préoccupation majeure a de quoi appâter le secteur privé, toujours à l’affût de nouveaux marchés lucratifs. Ces compagnies redoublent alors d’ingéniosité pour proposer des solutions technologiques promettant d’améliorer nos nuits: matelas connectés, literie qui régule la température, applications pour analyser les cycles du sommeil, etc.

Parmi ces propositions se trouvent aussi les appareils produisant des bruits «colorés». Il y a le populaire bruit blanc, qui combine toutes les fréquences audibles, mais aussi le brun, qui contient davantage de basses fréquences, ou le rose, qui se compose de basses fréquences plus fortes et de hautes fréquences plus faibles.

Les entreprises qui vendent ces dispositifs assurent qu’«investir dans un appareil sonore de qualité peut aider à s’endormir et à rester endormi». Mais qu’en est-il vraiment? La stimulation auditive peut-elle réellement améliorer la qualité du sommeil?

Julie Carrier, professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre d’études avancées en médecine du sommeil de l’Hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal, partage son son… de cloche.

Un effet prouvé…

Julie Carrier

Julie Carrier

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

D’abord, quelques notions.

Julie Carrier rappelle que, même si la conscience est réduite pendant le sommeil, le système auditif continue d’évaluer les sons de l’environnement. «C’est important que le cerveau reste alerte, puisque le sommeil est un état de vulnérabilité extrême et il faut pouvoir réagir aux dangers», indique-t-elle.

Ensuite, quand nous accédons au sommeil lent profond, le cerveau présente – sur un électroencéphalogramme (EEG) – des ondes lentes de grande amplitude. «Le cerveau semble au ralenti, mais il fonctionne plutôt par vagues, précise la chercheuse. Quand on est sur la partie ascendante de l’onde, il y a beaucoup d’activité cérébrale et, sur la partie descendante, les dendrites des neurones s’hyperpolarisent. Il y a donc une alternance entre activité et silence.»

Sachant que le cerveau réagit aux sons, Julie Carrier souligne qu’il a été démontré, il y a une dizaine d’années, qu’un signal auditif pouvait engendrer davantage d’ondes lentes dans le cerveau au cours du sommeil. À condition toutefois d’envoyer des signaux sonores très courts à des moments extrêmement précis – grâce à un EEG –, soit sur la pente ascendante de l’onde, lorsqu’il y a beaucoup d’activité cérébrale.

Est-ce à dire qu’on pourrait déclencher artificiellement des ondes cérébrales?

… mais un potentiel discutable

Julie Carrier et son équipe ont reproduit l’expérience dans leur laboratoire et sont arrivées au même résultat: un signal sonore précis peut amener le système nerveux à produire d’autres ondes lentes.

«Nous étions très enthousiastes, puisque, sur les ondes lentes, il y a aussi ce qu’on appelle les fuseaux du sommeil, qui sont un petit train d’ondes plus rapides, et ces deux types d’ondes [ondes lentes et fuseaux du sommeil] sont associés à la plasticité cérébrale, la consolidation de la mémoire, le sommeil plus profond», dit-elle.

Une avenue qui leur semblait encourageante, surtout dans un contexte de vieillissement de la population. Or, au bout de quelques années de travaux, le désenchantement a pris le dessus.

«Il était vrai qu’on pouvait augmenter les ondes lentes et les fuseaux du sommeil et améliorer la performance quant à une tâche apprise juste avant le coucher, mais nous n’arrivions pas à montrer clairement que ces ondes jouent entièrement le même rôle que celles créées “naturellement”, note la professeure. Les effets sur la mémoire ne sont pas assez substantiels pour qu’on recommande cette pratique à une personne vieillissante qui perd la mémoire. Et rien ne prouve encore que ces ondes pourraient améliorer la qualité du sommeil chez une personne qui souffre d’insomnie.»

Une invitation à pousser plus loin les études

Les preuves scientifiques qu’un ou des sons peuvent améliorer le sommeil – en influant sur les ondes cérébrales – sont donc plutôt minces pour le moment. En revanche, Julie Carrier tient à nuancer que toute chose, comme le bruit blanc ou la musique, qui parvient à «se calmer le pompon» pourrait aider certaines personnes.

«Ce qui me crève le cœur, par contre, c’est de constater que les gens sont prêts à débourser énormément d’argent pour résoudre leurs troubles du sommeil et que l’entreprise privée en abuse et tire profit de cette détresse», se désole-t-elle.

À ses yeux, là réside l’importance d’investir davantage en recherche sur le sommeil pour trouver des solutions basées sur la science, de faire de la qualité du sommeil une priorité pour la santé publique et de démocratiser l’accès aux solutions existantes, notamment les thérapies cognitivo-comportementales pour traiter l’insomnie.

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