Santiago Hidalgo: mettre le cinéma au service de la science

Santiago Hidalgo

Santiago Hidalgo

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

En 5 secondes

Le professeur Santiago Hidalgo étudie comment le cinéma peut avoir des vertus thérapeutiques notamment auprès des enfants et des personnes atteintes de démence.

Du sang jaillit sur son visage tuméfié à la suite de nombreux coups. Le boxeur veut continuer à se battre. Personne ne peut l’en empêcher. Même pas son fils qui l’observe, effrayé. La caméra montre en alternance les coups des boxeurs, les regards des spectateurs et celui de ce petit enfant confronté à la mortalité de son père. Cette courte scène extraite du film The Champ a été utilisée dans de multiples études en psychologie pour provoquer en moins de cinq minutes un état de tristesse chez des participants.

Cet état de conscience suscité par le cinéma tout comme les multiples autres effets qu’un film peut avoir chez un spectateur passionnent Santiago Hidalgo, directeur du Laboratoire CinéMédias de l’Université de Montréal et nouveau professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’UdeM.

Étudier l’expérience cinématographique

Mieux comprendre l’expérience cinématographique depuis l’émergence du cinéma, c’est ce qu’a voulu faire Santiago Hidalgo. Ainsi, sa thèse qu’il a réalisée à l’Université de Montréal sous la direction d’André Gaudreault s’intitule The Possibilities of “Film Consciousness”: A Formulation in Search of a Theory.

«À l’époque, pour étudier les réactions des spectateurs du début du siècle passé, j’utilisais une ancienne technologie: les livres!» déclare-t-il.

Aujourd’hui, avec les neurosciences, de nombreux outils ont été conçus pour analyser précisément les réactions des spectateurs. La neurocinématique fait appel à l’imagerie par résonance magnétique pour mettre en lumière quelles zones du cerveau sont activées lors d’un montage hollywoodien. D’autres instruments permettant de suivre le mouvement des yeux ou le rythme cardiaque peuvent être ajoutés pour obtenir un tableau des expériences émotionnelles du spectateur.

Monter des projets intersectoriels

Santiago Hidalgo dirige l’équipe d’une dizaine de personnes du Laboratoire CinéMédias. Il s’est peu à peu rapproché de scientifiques de différents domaines, persuadé que son expertise cinématographique pouvait être utile.

Il prend pour exemple une étude réalisée en Suisse dans les années 1970 sur les rêves faits à la suite du visionnement de certains films. Deux types d’extraits de films avaient été sélectionnés: neutres et grotesques. «Cette étude comportait de nombreux biais, car de multiples autres variables doivent être prises en compte telles que le rythme, la musique, le montage…», explique-t-il.

Il a alors établi des ponts avec des chercheurs. «Le simple fait de pouvoir travailler avec des gens d’autres disciplines est très stimulant. C’était comme m’offrir une nouvelle formation à un moment où je finissais la mienne», dit celui qui a obtenu un financement de 2,5 M$ pour un projet interdisciplinaire sur la contribution du cinéma au bien-être à l’ère des écrans.

Utiliser le cinéma pour différentes avenues thérapeutiques

Santiago Hidalgo a également participé à trois projets pour mesurer les vertus thérapeutiques du cinéma chez les enfants et les aînés.

C’est son histoire personnelle qui l’a poussé à explorer les effets que le cinéma pouvait avoir sur les personnes atteintes de démence. Son père a toujours été cinéphile. Santiago Hidalgo se remémore ce moment où ils ont visionné ensemble un film complexe qui se déroulait dans deux temporalités. «Il fallait retenir de nombreuses informations pour comprendre le récit. Cela a entraîné un sentiment très désagréable chez mon père: il ne saisissait pas pourquoi il ne comprenait pas quelque chose qui lui était familier auparavant. Il était très confus et embarrassé. C’est alors que j’ai pris conscience qu’il était malade», raconte-t-il. Il s’est alors demandé quels autres types de films son père pourrait continuer à regarder en prenant du plaisir. Aujourd’hui, Santiago Hidalgo travaille avec la professeure Ana Inés Ansaldo, de l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’UdeM et directrice du Laboratoire Plasticité cérébrale, communication et vieillissement du Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, pour déterminer si le visionnement de certaines séquences cinématographiques peut amener un apaisement des symptômes de démence chez les résidants des CHSLD.

Dans un autre ordre d’idée, ce sont ses enfants, qui ont souvent le nez collé sur leur téléphone alors qu’ils ont besoin de sommeil, qui l’ont amené à s’intéresser à un projet de recherche destiné à comprendre les habitudes de visionnement avant l’endormissement. Il collabore en ce moment avec le directeur du Laboratoire de recherche sur les rêves et professeur Antonio Zadra ainsi que Michelle Carr, du Département de psychiatrie et d’addictologie, et la doctorante Ajar Diushekeeva. L’étude clinique de l’équipe vise à tester différents types de contenus audiovisuels sur la qualité du sommeil.

Ses enfants sont également à la source d’un autre projet de recherche sur le cinéma. «En regardant leur programme scolaire, je me suis aperçu que le cinéma était une source de divertissement et qu’il n’était pas mis sur le même plan que la lecture et l’écriture. Pourtant, les images construisent le savoir et il est important d’apprendre à les décoder», mentionne-t-il. Un sujet sur lequel il se penche avec Sarah Lippé, directrice du Laboratoire de neuroscience du développement du CHU Sainte-Justine et professeure au Département de psychologie de l’UdeM.

Pour l’avenir, Santiago Hidalgo pense à de nouvelles possibilités de collaborations où d’autres vertus thérapeutiques du cinéma pourraient être mises au jour.