La pluralité religieuse au Québec

Crédit : Getty

En 5 secondes

Une vaste enquête de terrain rend compte de la diversité des croyances religieuses au Québec. Un sujet tabou et méconnu.

En se promenant dans les rues de Montréal, on voit des églises transformées en condominiums, spas, universités, bibliothèques… On imagine un Québec sécularisé depuis la Révolution tranquille où les Québécois de souche seraient devenus presque athées et où seuls les immigrants apporteraient leur religion dans leurs bagages. Et pourtant, c’est loin d’être le cas: telle est l’une des conclusions d’un vaste travail anthropologique de terrain sur le pluralisme religieux s’étalant sur plus de 10 années.

Sous la direction de Deirdre Meintel, professeure au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, 70 assistants de recherche ont étudié plus de 230 groupes religieux au Québec. Cette synthèse des diverses croyances dans la province est présentée dans l’essai La pluralité religieuse au Québec.

L’invisibilité du religieux au Québec

La religion de chacun ne s’affiche pas dans la rue. Certes, on peut croiser quelques femmes portant un foulard islamique, certains hommes avec une kippa ou encore des sikhs coiffés d’un turban. Mais cela fait exception. Majoritairement, la religion est une affaire personnelle, gardée à l’abri des regards.

On peut par contre observer certains monuments témoignant de la présence de groupes religieux. Des assistants de recherche en anthropologie, sociologie et sciences des religions sont allés les répertorier pour en dresser un inventaire visuel. Un inventaire à l’aide d’informations numériques aurait été compliqué à réaliser. «À l’époque où nous avons commencé nos recherches, certains groupes n’avaient pas de site Web, voire pas de numéro dans le bottin téléphonique, il fallait donc faire une recension visuelle à pied», explique Deirdre Meintel.

La professeure précise que «cet inventaire ne peut prétendre ni à l’extensivité ni à l’objectivité, car nous ne pouvons pas affirmer que nous connaissons parfaitement tous les univers décrits. Mais nous avons essayé d’être aussi complets que possible avec notre armée d’assistants».

Plusieurs anecdotes reflètent l’invisibilité du religieux au Québec. Alors qu’une assistante de recherche se trouvait près de la station de métro Plamondon pour lister des bâtiments religieux, il s’est subitement mis à pleuvoir à verse. Elle s’est abritée dans l’entrée d’un immeuble qui s’est avéré être une pagode. Ce temple bouddhiste ne comportait aucune enseigne. Découvrir un lieu de culte fortuitement est également arrivé à Deirdre Meintel. «Je devais aller à une activité du Centre Justice et Foi dans une mosquée. Arrivée presque à destination, j’ai suivi des gens et je suis rentrée par erreur dans une mosquée de la rue d’en face qui était non répertoriée!» raconte-t-elle.

En faisant des recherches sur une église évangéliste, un autre étudiant a été abasourdi de découvrir la présence de membres de sa famille élargie. Par crainte d’être jugés et incompris, nombreux sont ceux et celles qui ne parlent pas de leurs croyances religieuses, même dans la sphère privée. «Les gens sont très discrets à ce sujet et disent que c’est pour éviter les chicanes, même en famille. Étrangement, nos recherches ont démontré que cette discrétion ne s’exerçait pas seulement dans la sphère publique, au travail par exemple, mais aussi dans le privé», dit Deirdre Meintel.

Différents paysages religieux régionaux

L’étude a recensé 133 groupes religieux à Montréal et près de 100 autres à Sherbrooke, à Saint-Jérôme, à Rawdon et au Saguenay. Chaque région possède ses particularités religieuses.

Ainsi, dans la ville de Rawdon, qui ne comptait que 10 400 habitants au moment de l’enquête, Daniela Moisa a dénombré pas moins de 58 groupes religieux tels des catholiques, des orthodoxes, des protestants évangéliques, des mennonites ou encore des bahaïs.

La population de Saint-Jérôme diffère. D’après les données officielles, elle serait composée essentiellement à 85 % de catholiques. Les personnes qui se disent chrétiennes pentecôtistes, orthodoxes, musulmanes ou bouddhistes y seraient minoritaires.

Religion et mouvance

On pense que les immigrants apportent leur religion avec eux! L’étude relève que ce phénomène est complexe.

Oui, certains immigrants fondent des lieux de culte. Mais ils sont bien vite rejoints par d’autres immigrants d’autres nationalités ainsi que par des Québécois. Par exemple, à Rawdon, les Russes ont fondé deux paroisses orthodoxes «qui ont attiré des orthodoxes de diverses origines ethniques: des Ukrainiens, des Moldaves, des Roumains, des Grecs ainsi que des convertis nés au Québec ou originaires de Belgique ou de France», peut-on lire dans le livre.

«Des églises anglicanes, presbytériennes et catholiques marquent également le paysage de la municipalité. La diversité ethnique était déjà notable au sein de la paroisse catholique, qui regroupait dans un passé récent des Québécois francophones, des Acadiens, des Polonais, des Slovaques, des Russes, des Roumains, des Hongrois, des Autrichiens, des Italiens, des Moldaves, des Grecs, des Mexicains, des Suisses, des Belges, des Tchèques, des Portugais et des Chiliens. Pendant l’enquête, d’autres groupes commençaient à se faire remarquer, notamment originaires d’Afrique: des Congolais, des Camerounais ou encore des Ivoiriens, dont certains musulmans. La diversité de la population a progressivement redessiné le paysage local», y apprend-on également.

L’étude montre aussi que la diversité religieuse n’est pas qu’une conséquence des flux migratoires. Certaines personnes nées au Québec peuvent découvrir par elles-mêmes différentes spiritualités au Québec ou à l’étranger. Les immigrants seraient aussi plus nombreux à se déclarer sans religion que les personnes nées au Québec, soit 15 % contre 12 %.

L’apport des religions pour un meilleur vivre-ensemble

Les débats récents entourant les accommodements religieux ont laissé l’impression que la religion est un facteur de scission pour la société québécoise. L’étude présente au contraire la religion comme un outil d’intégration. Ainsi, l’accueil de réfugiés syriens a pu se faire avec les Églises arménienne, orthodoxe et d’autres groupes religieux catholiques ainsi que des collaborations interconfessionnelles.

«La majorité des groupes religieux et spirituels souhaitent guérir la société. Il y a beaucoup de spiritualités chamaniques, néochamaniques, qui ont même des rituels pour la guérison de la Terre mère. Ces préoccupations dépassent le groupe lui-même. Il y a aussi des notions de bonne citoyenneté dans une société pluraliste et la plupart des groupes que nous avons rencontrés n’avaient pas comme mentalité de convertir la totalité de la société à leur religion», fait remarquer Deirdre Meintel.

«Je trouvais important de souligner à quel point la majorité des groupes religieux rencontrés souhaite favoriser le bien commun», conclut-elle.

 

Sous la direction de Deirdre Meintel, La pluralité religieuse au Québec, Les Presses de l’Université de Montréal, 2022, 112 pages.

Dans la meme serie

La science au féminin