«Une tour sur la montagne»: le pavillon Roger-Gaudry à l’honneur dans un documentaire sur Ernest Cormier

 Vue aérienne du pavillon principal de l'Université de Montréal, 4 novembre 1963 / Centrale de photographie (UdeM). 1 photographie : épreuve n&b.

Vue aérienne du pavillon principal de l'Université de Montréal, 4 novembre 1963 / Centrale de photographie (UdeM). 1 photographie : épreuve n&b.

Crédit : Archives UdeM, Fonds Bureau de l’information, D0037/1fp,05011

En 5 secondes

Le documentaire de Paul Carvalho explore la vie et l’œuvre d’Ernest Cormier, près de 80 ans après la fin de la construction du pavillon Roger-Gaudry, vu comme l’ultime réalisation de sa carrière.

Ernest Cormier

Crédit : Division des archives de l'Université de Montréal

Dans le documentaire Une tour sur la montagne: l'architecture d'Ernest Cormier et sa vie avec Clorinthe Perron, Paul Carvalho plonge dans les archives d’Ernest Cormier par l’entremise de l’historienne Aliki Economides, dont la thèse «Modern savoir-faire: Ernest Cormier Architect and Engineer-Constructor» a inspiré cette production. Enchaînant les commentaires sur les œuvres de Cormier et sa passion pour le dessin, les incursions dans sa vie privée et les témoignages de proches, d’experts ou encore de résidants qui habitent aujourd’hui des bâtiments créés par l’architecte, le documentaire met en relation l’espace intérieur intime et singulier qu’il avait dessiné et rêvé pour lui-même et ses réalisations monumentales, publiques et collectives, témoins du remarquable héritage laissé par l’un des plus grands architectes du 20e siècle.

Alors que d’importants travaux débuteront bientôt au pavillon Roger-Gaudry, nous nous sommes entretenus avec l’un des intervenants du film, l’architecte Louis Brillant, qui nous parle de cet édifice phare.

Dans le documentaire, on souligne tout le travail d’ornementation d’Ernest Cormier et le soin qu’il apportait aux détails: il concevait les portes, les fenêtres, le mobilier, les lampadaires, etc. Le Hall d’honneur du pavillon Roger-Gaudry témoigne d’ailleurs d’une grande qualité de finition, d’une attention aux matériaux et à l’éclairage intérieur par exemple. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces éléments et pourquoi était-ce important dans sa pratique d’architecte?

Ernest Cormier possédait des qualités intellectuelles supérieures. Il était à la fois architecte et ingénieur et, en ce sens, il s’intéressait à la fabrication. Il a lui-même fait la reliure des livres de sa bibliothèque, il avait un laboratoire photo dans sa maison pour faire ses propres tirages photographiques, il avait un intérêt pour les plantes, les fleurs, cela allait jusqu’au choix des essences végétales dans les projets qu'il réalisait.

Pour lui, la séparation entre les activités de génie et de structure d’un côté et l’architecture et l’ornementation de l’autre, ça n’avait pas de sens. Il était intéressé par la vision globale de l’œuvre, il voulait s’occuper de tout: le bâtiment, la structure, le programme, l’aménagement, la lumière qui entre à l’intérieur du bâtiment, les effets de matérialité à utiliser pour que l’espace créé soit à la hauteur du message qu’il voulait transmettre.

Dans le cas du pavillon Roger-Gaudry, pour lequel Cormier a tout conceptualisé, tout dessiné, cela se traduit dans sa décision d’exposer la structure, le béton; par le soin qu’il prend à travailler avec les proportions et surtout avec la lumière afin de la mettre en valeur et de l’utiliser pour habiller l’espace. Dans les lieux de prestige comme le Hall d’honneur et l’amphithéâtre, il apporte un traitement stylistique proche de l’art déco, désireux d’employer les matériaux comme ornements.

 

Cormier a utilisé du béton armé pour construire l’ossature du pavillon Roger-Gaudry, détaillant les structures et précisant l’armature. Quelles sont les qualités qu’il trouvait à ce matériau?

Au moment où il réalise le pavillon Roger-Gaudry, la création architecturale balaie un peu les ornements, les enlève pour exposer les matériaux bruts et la structure; et dans sa formation auprès de maîtres de l’utilisation de béton armé, il conçoit des voûtes qui laissent paraître le geste structural lui-même. C’est la stratégie employée dans le pavillon Roger-Gaudry: c’est du béton, du parement de briques, et ce qui vient apporter une couleur particulière, c’est son travail avec les proportions de l’espace et avec la lumière. À certains endroits, comme dans le Hall d’honneur ou dans l’amphithéâtre, il se permet d’introduire des matériaux d’ornement tels le marbre, les pierres plus précieuses. Tout le reste est sobre: béton, briques, fenêtres. Il y a d’ailleurs des milliers de fenêtres au pavillon Roger-Gaudry!

 

Justement, on sait que Cormier attachait une grande importance aux portes extérieures des bâtiments; en est-il de même, selon vous, des fenêtres? Plus de 3500 fenêtres rythment la symétrie du pavillon Roger-Gaudry. Pouvez-vous nous dire pourquoi il y en a autant et dans autant de formats et de types?

Ce n’est pas un hasard! Dans son imposante recherche des archives de Cormier au Centre canadien d’architecture pour le projet de l’Université de Montréal, Aliki [Economides] m’a dit avoir trouvé des feuilles et des feuilles de calcul du pourcentage de luminosité que chaque type de pièce, de laboratoire, de salle de classe devait avoir selon son orientation, la course du soleil dans une journée, les saisons même! Il ne s’agit donc pas d’une disposition aléatoire ou d’un simple souci esthétique. Tout a été calculé pour que l’éclairage naturel soit optimal dans chacun des lieux. Par exemple, les façades orientées dans une cour intérieure située à l’ouest devaient avoir des fenêtres d’un format précis en fonction de leur usage, de l’étage où elles se situent, tout en tenant compte du nombre de travées structurales. C’est un travail de moine! Pour effectuer un travail équivalent aujourd’hui, on utiliserait un programmeur et l’intelligence artificielle! Il y a tant de variables et de paramètres à considérer.

 

Dans votre pratique d’architecte expert en enveloppe et rénovation patrimoniales, vous êtes intervenu sur plusieurs réalisations de Cormier à la brique vitrifiée chamois, comme celle qu’on trouve au pavillon Roger-Gaudry. Pourquoi aimait-il particulièrement ce matériau?

Il faut d’abord contextualiser cette utilisation. La matérialité des bâtiments dans une ville, c’est très important. De façon générale, on utilisait la pierre grise de Montréal pour des bâtiments municipaux ou résidentiels de prestige, la brique rouge pour les bâtiments industriels, de service et ouvriers, et enfin la brique jaune, ou chamois, pour les bâtiments de type institutionnel comme les écoles, les universités, certaines églises. C’était convenu, dans la mesure où il fallait tenir compte du coût des matériaux, de leur durabilité espérée, mais aussi de la géologie du lieu.

Cependant, la brique chamois ne vient pas d’ici! Cette brique, qu’on appelle brique Belden, vient de l’Ohio. Bien sûr elle est plus chère, mais elle est d’excellente qualité, que ce soit en termes de capacité portante, de résistance à la compression ou de porosité. Et il faut rappeler que la main-d’œuvre à l’époque était bon marché, alors on en a profité.

 

Le pavillon Roger-Gaudry est un bâtiment de grande valeur historique, patrimoniale et architecturale, dont on a beaucoup commenté l’aspect extérieur et l’organisation symétrique. Pouvez-vous nous parler de son aménagement fonctionnel, de la différence de programme entre l’est et l’ouest?

À l’Université de Montréal, tout est pensé en fonction du programme, des affectations, des occupants. Pour comprendre, par exemple, pourquoi l’hôpital qui était originalement prévu à Roger-Gaudry a été construit dans l’aile ouest, il faut voir comment on construisait les hôpitaux sur la montagne, comme le Centre hospitalier de St. Mary ou la maison mère des Sœurs grises de Montréal, boulevard René-Lévesque: on s’intéressait aux bienfaits de l’exposition au soleil sur la santé des malades, ce qui demandait d’avoir de grandes vérandas orientées vers le sud-ouest. Toute l’organisation fonctionnelle faisait donc partie de cette réflexion. Comme en ville on n’a pas nécessairement de jardin, on se disait que, si on s’élevait en hauteur comme sur la montagne ou qu’on s’exposait à l’ouest, on pourrait bénéficier du bon air et du soleil. D’où le fait, dans le pavillon, de placer dans l’aile ouest le futur hôpital et les classes et les laboratoires dans l’aile est.

Bande-annonce du documentaire

Une tour sur la montagne - Extrait 2 de Paul Carvalho Films sur Vimeo.

Pour voir ou revoir le documentaire «Une tour sur la montagne: l'architecture d'Ernest Cormier et sa vie avec Clorinthe Perron»:

https://ici.tou.tv/une-tour-sur-la-montagne-l-architecture-d-ernest-cormier-et-sa-vie-avec-clorinthe-perron/S01E01